Delphine Richer
À propos de la performance Face
Contexte
Cette œuvre a été conçue pour un lieu bien particulier et en rapport aux caractéristiques propres du pays dans lequel elle a eu lieu : la Chine. Cette performance a pris forme dans l’étonnant village de BaiLu Zhen dans la province du Sichuan. Rasé par un tremblement de terre en 2008, le village a été intégralement reconstruit, sur un modèle architectural considéré comme français.
Ce choix a été motivé par:
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L’histoire du village qui, en 1860, vit des missionnaires catholiques français installer un vaste centre religieux à quelques kilomètres de là.
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Une volonté de relancer l’économie du village et de la région après le drame.
Ainsi, BaiLu Zhen aux apparences exotiques devient-elle une véritable attraction touristique, le cadre idéal pour des photos de mariage, un séjour dépaysant, une visite originale…
Le village étant pensé pour le tourisme, les riverains qui y logent semblent habiter un décor de cinéma dont le film serait une comédie romantique, nécessairement un film joyeux.
Performance
Un samedi d’affluence, je me tiens souriante sous le grand portail en fer forgé qui marque l’entrée du village de BaiLu Zhen. De l’heure d’arrivée du premier bus (7h30) à leur de départ des derniers touristes (19h30), je reste là, sans discontinuité, immuablement souriante.
Au cours de ces 12h de performance, toutes sortes de personnes se sont présentées à moi. Certaines, très courtoises, me parlaient en anglais ou en chinois, me demandaient l’autorisation de se faire photographier à mes côtés, me remerciant poliment, me posant quelques questions concernant par exemple ma nationalité, ma profession, si l’action menée était une performance etc… Je répondais souriante mais de façon à ne pas entreprendre de trop longs dialogues. D’autres touristes en revanche me prenaient par les épaules pour une photo souvenir, tentaient de me mettre des lunettes de soleil sur le nez, me posaient un bouquet de fleurs sur les genoux ou me photographiaient avec insistance sous toutes les coutures et jusqu’à une distance extrêmement courte sans me décrocher le moindre mot. Un vaste échantillon de personnalités s’est ainsi illustré face à la situation à la fois simple et incongrue qu’était mon attitude : une attente considérablement longue en pleine chaleur immuablement aimable et souriante. La première impression des visiteurs et leur comportement à mon égare étaient immanquablement questionnés lorsqu'ils repassaient par le portail pour quitter le village et qu'ils me découvraient toujours imperturbablement souriante. Tel un miroir, ils pouvaient à leur tour observer un nouveau public agir comme ils l’avaient fait quelques heures auparavant.
Dans ce pays où l’individu ne doit transparaître aucune faiblesse, il était entre autre, question de garder la Face.